top of page
Rechercher

LE LAVOIR DU BUISSON SAINT-LOUIS

  • Cécile Parenteau
  • 22 mai 2017
  • 4 min de lecture

À l’occasion des Portes Ouvertes Européennes de l’Habitat Participatif les 20 et 21 mai 2017, les propriétaires occupants du Lavoir du Buisson Saint-Louis ont accueilli les visiteurs et fait part de leur expérience qui a débuté il y a plus de trente-cinq ans. Une étonnante aventure humaine et l'exemple le plus ancien d’habitat de ce type à Paris.


Le portail surmonté d’une grille Art Nouveau ne laisse rien deviner. Il faut passer le porche d’un immeuble haussmannien pour découvrir, 8 bis rue du Buisson Saint-Louis dans le dixième arrondissement de Paris, une allée végétalisée menant à un grand bâtiment, un ancien lavoir industriel, reconverti en logements dans un esprit atelier d’artistes. Le pignon qui fait face est flanqué de deux grandes colonnes de briques élevées dans les années 80. Il est habillé de verrières aux fines menuiseries métalliques colorées, de poutrelles d’acier, d'une charpente en bois et de terrasses en toitures.


L’ensemble a retrouvé la patine du temps et une sérénité propice au chant des oiseaux. L’allée traverse de part en part l’édifice de trois étages, composé de plusieurs corps de bâtiment et ponctué de volées d’escaliers en béton. L’architecte Bernard Kohn, chargé de la réhabilitation, s’est inspiré du travail de Louis I. Kahn dont il a pu découvrir les œuvres lors d’un séjour en Inde ; d’où l’usage du béton, du parpaing de couleur claire et surtout de la brique, déjà présente dans le bâti d’origine.


Qui se ressemble s’assemble


En 1979, deux couples séduits par ce cœur d’îlot en friche et l’immense lavoir en ruines décident d’entraîner leurs amis et les amis de leurs amis, dans une société civile immobilière (SCI) qui après la fin des travaux laissera la place au statut juridique de la copropriété. Ce sont bientôt douze couples, ou personnes seules, qui investissent les lieux, dans l’idée d’emménager. Pas moins d’une centaine de réunions se succèdent : l’architecte se retrouve avec une multitude d’interlocuteurs représentés par l’une d’entre eux. Et les discussions sont très vives. La répartition des surfaces n’est pas simple et se fait en fonction des contraintes financières de chacun. Ce sont surtout des couples de fonctionnaires de moins de quarante ans, plus ou moins aisés et aux origines universitaires communes ayant vécu mai 68 de façon engagée. Mais pas des "baba cool" pour autant. Qui se ressemble s’assemble : la mixité n’est pas recherchée. Depuis 1983, douze familles résident ici dont onze ont participé à l’élaboration du projet, composé essentiellement de duplexes. Un seul couple est parti, remplacé par un autre idéologiquement compatible. Deux ont divorcé. Les propriétaires sont maintenant âgés, mais relativement soudés dans une relation quasi-familiale. Leurs enfants ont grandi ici et s’y sont épanouis, profitant des nombreux espaces et services communs : laverie, jardins, patio, terrasses, salle commune de quatre-vingt mètres carrés, dans laquelle se déroulent garderies, fêtes, spectacles, activités, concerts ou réunions, et parfois même l’accueil temporaire de réfugiés. L’architecture dotée de plateaux et de planchers bois permet de nombreuses modifications, au gré des besoins. En revanche, l’isolation thermique et phonique d’origine, insuffisante au regard des normes actuelles, et la présence de panneaux amiantés en façades restent des points faibles auxquels il sera toujours possible un jour de remédier.


L’architecture donne le la


Les habitants n’avaient pas de sensibilité écologique particulière à l’origine du projet mais ils sont séduits par l’îlot de verdure. L’architecte leur propose un habitat en prise directe avec son environnement. A l’opposé des traditionnelles promotions immobilières, c’est la qualité de vie qui est recherchée plus que les mètres carrés, même si diverses extensions rendues possibles par le Plan d’Occupation des Sols (POS) voient bientôt le jour. La particularité du programme est de disposer de vues sur l’extérieur mais également sur l’intérieur de la parcelle de 1 200 mètres carrés, à travers une longue percée longitudinale ainsi que transversale matérialisée par un patio fendu d’un étroit bassin, comme dans les riads ou palais indiens. La présence de l'eau rappelle aussi l'existence du lavoir. Les nombreuses baies vitrées sont ponctuées par des panneaux opaques en Eternit aux tonalités de rouille comme un acier Corten. La lumière traverse les étages de part en part, d’une baie vitrée à l’autre en diagonale. Rien n’est bouché malgré un subtil jeu de cache-cache propice à l’intimité. Ouvrants et châssis fixes se succèdent permettant de fixer des étagères derrières certains. Les espaces partagés que sont les terrasses favorisent la vie en collectivité. Comme le rappelle Pierre, l'aîné de la copropriété, aucun règlement intérieur n’a jamais pu être formalisé, malgré plusieurs tentatives, mais chacun finit par se plier au consensus après parfois de tumultueux échanges. Les difficultés rencontrées concernent avant tout : la durée des soirées d'adolescents dans la salle commune ; l’introduction des bandes de copains ; les barbecues ; la réalisation en interne des tâches comme l’entretien ou la sortie des poubelles ; la présence des chats ; les décisions à propos des travaux d’amélioration comme l’aménagement des accès pour un fauteuil roulant ou l’installation éventuelle d’un ascenseur, qui fait maintenant défaut compte tenu de l’âge des occupants et la présence de nombreux escaliers. Malgré les quelques tensions propres à toute vie en collectivité, les habitants sont visiblement très attachés à ce mode de fonctionnement qu’ils ont choisi et élaboré. Et la magie opère.



Un tel projet serait-il encore possible en 2017 ? Certes, le prix de l’immobilier parisien ne permet plus de réaliser ce type d’opération sans éviter la spéculation. Mais d’autres villes ou périphéries de ville, où les bâtiments industriels sont encore nombreux, le permettent. Faut-il réunir des personnes d’âge et de niveau culturel et social semblable, comme ce fut le cas ici ou au contraire rechercher une forme de mixité et de complémentarité ? Une question à se poser, avant d’investir moyens et énergie dans l’aventure d’un habitat partagé.



Pour en savoir plus et découvrir le travail de l'architecte, deux vidéos :







 
 
 

Comments


bottom of page