LES ECOLIEUX SOUS LA CRITIQUE
- Cécile Parenteau
- 27 mars 2017
- 6 min de lecture
La conférence parisienne du 6 février 2017, intitulée « Ecolieux : ce qui marche / ce qui ne marche pas ? », s’est déroulée à la REcyclerie, une ancienne station de la petite ceinture, reconvertie en tiers-lieu voué à l’éco-responsabilité. Avec pour ambition de faire un retour sur les réussites et les échecs des écolieux.
Après un rapide tour d’horizon des communautés au XXe siècle, Frédéric Mesguich, membre de l'association parisienne et fédératrice Vers l'écolieu, nous rappelle à la réalité : aux Etats-Unis, territoire d’expérimentation, 90% des projets d’écovillages n’aboutissent pas ou disparaissent rapidement. Ce qui fait dire à certains qu’ils pourraient être voués à l’échec. Reposant pour partie sur la bonne volonté d’un petit nombre de personnes, ils peuvent disparaître avec celles-ci. Mais ce n’est pas toujours le cas. Pour envisager les réussites ou les échecs, il faut avoir en tête que pour l’opinion publique, les expériences négatives sont plus marquantes que celles positives, selon un principe appelé « biais de négativité ». Cette tendance mène à des généralisations abusives, génère préjugés, stéréotypes et discriminations. L’opinion retient notamment les différents échecs des années 70, suite aux nombreuses tentatives post soixante-huitardes. Le mouvement New Age des années 90 a parachevé ce sentiment négatif en mettant en évidence l’aspect sectaire de certaines communautés. Un seul échec dans le secteur alternatif aurait ainsi plus d’impact que dix réussites. Une bonne raison aux yeux du public pour rejeter toute alternative sociétale.
Quelles réalités derrière les écolieux et quelles finalités ?
Ce sont des lieux comme la REcyclerie montés autour d’un projet lié au développement durable, les écohameaux, les écoquartiers ruraux (comme les groupements de retraités) ou urbains (quartier Vauban à Fribourg), les écovillages encore peu nombreux en France (Trémargat, Eoures, Ungersheim) et les grandes communautés (Longo Maï, Village du Prunier, Hameau des buis). Les néo-ruraux qui s’y installent deviennent parfois plus nombreux que les populations indigènes. Des villages traditionnels existants sont également en transition comme en témoigne le film Qu’est-ce qu’on attend ? L’objectif de ces « écotrucs » est de construire de petites sociétés à l’écart de la grande pour pouvoir changer les choses plus facilement, tout en ayant un impact sur le monde extérieur en étant visibles. Leur bon fonctionnement repose sur le consentement individuel avec des devises comme « C’est celui qui dit qui fait », selon Nuit Debout. Ecolieux rime aussi avec écologie. Diminuer l’impact des humains sur leur environnement passe notamment par la réduction de l’impact moyen de chaque individu. La France vit en effet 2,5 fois au dessus de ses moyens, en pratiquant pour cela le pillage des ressources naturelles mondiales. Les écolieux s’inscrivent donc dans une recherche d’altruisme, d’équité, d’économie, de simplicité volontaire et de décroissance, initialement fondé sur un retour à la nature. Mais ce dernier principe n’est parfois qu’un conservatisme, fondé sur une observation souvent biaisée de la nature, pour justifier une société patriarcale dans lequel le féminisme des années 70 a tardé à se faire entendre. L’oppression animale avec l’élevage traditionnel ou industriel est également pointée du doigt ; ce qu’exprime et dénonce l’association L214.
Les principaux mouvements précurseurs
A l’origine des Oasis, le Mouvement des Colibris initié par Pierre Rabhi est ainsi un « revival utopique ». Malgré un reconnaissance nationale et internationale, le personnage fait l’objet de quelques controverses. Certains propos sur le rôle des femmes ou encore sur l’homosexualité ont pu écorner son image. La gestion de ses fermes fait également polémique avec une large part donnée au bénévolat et aux stages payants, suggérant que l’autosuffisance alimentaire pourrait n’être qu’un mythe. Les techniques agraires prônées sont aussi contestées par les scientifiques. Mais l’enjeu ne serait pas là puisqu’il s’agit avant tout d’humanisme.
Auroville créée en 1968 s’inscrit à l’intérieur d’un projet de reforestation. De ce point de vue c’est une réussite. Le volet économique en revanche représente un modèle moins convaincant et surtout peu exportable. Son fonctionnement a d’abord consisté à partager les ressources : pas d’échanges d’argent à l’intérieur de la communauté. Puis est apparue l’équivalent d’une sorte de monnaie locale pour valoriser le travail de chacun. Education, sport et santé restent gratuits mais financés par des impôts. Le modèle perdure grâce à une main d’œuvre locale bon marché et des serviteurs tamouls. Ce qui représente en réalité une forme de néo-colonialisme. Mais cette inégalité n’est autre que celle que l’on retrouve à l’échelle mondiale. Elle est ici moins dissimulée.
Longo Maï localisée principalement en Provence à Forcalquier est une communauté d’inspiration libertaire créée en 1973. Elle prône le rejet de l’enrichissement par le capital et fonctionne en coopératives agricoles autogérées. Très ouverte sur l’extérieur, elle possède une vocation internationale. Elle a accueilli par le passé anarchistes et réfugiés d’Amérique latine et continue à défendre les sans-papiers.
La dérive sectaire et la gouvernance
Comment identifier les dérives sectaires ? Certaines pratiques sont aisées à identifier comme telles, mais ce n’est pas toujours évident. Les écolieux relevant d’un projet non conventionnel, hors des sentiers battus, supposent une coupure entre les participants et leur environnement d’origine. Les dangers sont donc inhérents. En outre la question financière est complexe puisque la création d’un écovillage exige des investissements et des dépenses, en particulier concernant la construction du logement. Un fort investissement de départ est généralement requis. La méfiance vis-à-vis de toute contractualisation est assez répandue dans les communautés. Et cette absence de formalisme peut être un problème en cas de départ ou de dissolution. À Auroville, les logements, construits par les adhérents après une année de probation, appartiennent à la communauté contribuant à son enrichissement au fil du temps. Le salaire d’un maçon étant là-bas de deux euros par jour, le coût global d’une maison reste néanmoins limité. En France, un tel fonctionnement serait problématique et empêcherait les départs, maintenant sur les lieux des personnes peu motivées par la collectivité. De nombreux projets fonctionnent sur le principe de la copropriété ; ce qui permet de mettre en place des équipements partagés. Certains sont enregistrés sous forme de SCI pour clarifier notamment les procédures de départ.
Les prises de décision sont un autre point de vigilance. A Longo Maï à ses débuts, toutes les décisions se prenaient à la démocratie directe dans l’agora jusqu’au consensus. Priorité aux grandes gueules et aux couche-tard. Et plus la majorité requise est importante, plus les décisions sont difficiles à prendre. Quand l’immobilisme gagne, c’est la tyrannie de la minorité. Les plus motivés risquent alors de partir. Le consensus n’est donc pas la meilleure formule. D’autres solutions existent. Par exemple, il est possible d’imposer lors du rejet d’une décision la présentation d’une proposition alternative. A chaque rejet, une nouvelle proposition retravaillée est faite et la majorité exigée est revue à la baisse. Le vote pondéré est une autre solution, sous forme d’une note de -5 à 5 à chaque proposition. Le vote double pondéré prend en compte la participation des intéressés aux tâches concernées par le vote (celui qui dit qui fait). Le vote Condorcet permet à chaque électeur de classer les candidats par ordre de préférence. Il est possible aussi de nommer des experts qui auront plus de voix ou encore d’élire des groupes décisionnaires.
Choisir sa localisation et bien gérer ses relations publiques
Tera Coop est un exemple de succès en termes de diffusion médiatique avec seulement 10 membres permanents. Néanmoins et malgré toutes les précautions prises pour monter son projet, la communauté a dû faire face à des oppositions locales à posteriori. Cette expérience montre bien les difficultés auxquelles doivent faire face les projets d’écovillages, y compris lorsque ceux-ci ont reçu l’aval des autorités et des subventions.
La permaculture est à l’origine de la réussite du projet du Bec-Hellouin largement médiatisé. Il s’agit d’une culture bio intensive. Le jardin des Fraternités Ouvrières en Belgique pratique également la permaculture depuis de longues années à partir d’une forêt comestible, des jardin conçus comme de véritables jungles.
Toutes les initiatives menées pour réussir à fédérer une communauté ne mènent pas toujours au succès. La recette miracle n’existe pas encore. Les écovillages en France, destinés à se développer, ne sont tout simplement pas rejoints pour la plupart. Et pourtant il y a urgence à relever le défi d’un monde plus équitable et plus durable, dans lequel les écolieux auront toute leur place.
Pour en savoir plus :
Intervenants : Frédéric Mesguich et Pierre Naffrechoux (membres de Vers l'écolieu ), Frédérique Penot (Passerelle Eco) et Valérie Marquet (Altertour).
Cette rencontre était co-organisée par l'association Vers l'écolieu qui porte un projet d’installation périurbaine prévu pour 2019. Envie de quitter l'Ile-de-France ou de déménager à proximité d'initiatives associatives, militantes, conviviales ou d’habitat (coloc’ d’appart, cohabitat, écohameau) en étant proche de la nature et de la ville ? L'asso Vers l'écolieu propose des rencontres de travail ou conviviales tout au long de l’année.
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