UN AUTRE REGARD SUR LA VILLE

Derrière la cité construite pour durer, se cachent d’autres réalités, nomades et éphémères. Territoires d’expérimentation ou de contestation, elles sont l’envers d’un décor policé. Au fil de ses pages, Villes Nomades nous fait voyager en France, en Algérie puis en Russie, aux côtés de populations souvent occultées qui font pourtant les mégalopoles du XXIe siècle.

Densifiée ou étalée, la métropole européenne devenue exponentielle est historiquement planifiée. Quelle soit hausmannienne, composée d’immeubles de grande hauteur, de barres, de petits collectifs ou de pavillons en copié-collé, elle connaît après la guerre une uniformisation de ses nouveaux quartiers à travers un habitat souvent stéréotypé. Les espaces publiques sont réduits aux centres commerciaux, stades et autres infrastructures inhospitalières. Cette transformation immobilière et spéculative, liée à la démographie et aux contraintes foncières, n’est pourtant pas l’essence de la cité. Son existence au-delà de son empreinte, carbonée, bétonnée et fondée, révèle l’envers du décor : une autre agglomération, « foraine » faite de caravanes, tentes, camions, mobile-home, etc. Loin d’être anecdotique cette ville nomade, que les municipalités ont tendance à repousser dans les marges, représente une condition de l'urbanité. Elle fournit des saisonniers et nourrit de sa main-d’œuvre corvéable à merci chaque nouveau projet immobilier. Étrangers, réfugiés ou Manouches, mais aussi précaires poussés sur les routes par souhait ou nécessité, composent cette nouvelle smala à la richesse insoupçonnée. Souvent clandestine et pourchassée par un populisme ignorant et myope, elle se méfie des autorités qui, tout en lui reconnaissant en théorie des droits, l’utilisent et l’ostracisent quand elles ne la persécutent pas. Considérer l’urbanisation à travers le prisme de ces populations, au profil très diversifié, interpelle.

C’est la raison d’être du groupe Echelle Inconnue qui se consacre depuis 1998 aux urbanités minoritaires, alternatives ou émergentes. Son projet de recherche et création tente de faire progresser une connaissance « par le bas » en développant travaux et expériences artistiques autour de la ville et du territoire. Il est porté par l’architecte Stany Cambot, auteur de Villes Nomades aux Editions Eterotopia France – Rhizome. Un petit livre rouge qui évite la caricature sans laisser de glace, en fournissant de nombreux exemples documentés, de la Zone des fortifs de Paris au « royaume sur roues » de la Makhnovtchina en Ukraine jusqu’aux kiosques moscovites. Le caractère indiscipliné, voire la dimension originellement guerrière, de la ville mobile, y est analysé et remis en perspective. À destination d’un large public néanmoins averti, il modifie notre regard en suggérant de nouveaux horizons, poétiques, politiques et économiques. Un voyage dans le temps et l’espace qui se joue des frontières.

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